A propos d'Acheter et
Vendre
Pour vous la terre livre son fruit, et vous ne manquerez de rien
si vous savez comment remplir vos mains.
C'est en échangeant les dons de la terre que vous trouverez
l'abondance et serez comblés.
Cependant, à moins que l'échange ne se fasse dans
l'amour et la justice bienveillante,
il conduira les uns à l'avidité et les autres à
la faim.
Lorsqu'au marché, travailleurs de la mer, des champs et
des vignes,
vous rencontrez les tisserands et les potiers et les cueilleurs
d'épices,
Invoquez alors l'esprit maître de la terre,
qu'il vienne parmi vous et sanctifie les balances et le calcul
qui oppose valeur à valeur.
Et ne souffrez point que ceux qui ont les mains stériles
prennent part à vos transactions,
eux qui vendent leurs paroles en échange de votre travail.
A de tels hommes vous direz :
« Venez avec nous au champ, ou allez avec nos frères
vers la mer et jetez votre filet ;
Car autant qu'à nous la terre et la mer vous seront généreuses.
»
Et si viennent les chanteurs et les danseurs et les joueurs de
flûte, - achetez de leurs offres également.
Car eux aussi sont cueilleurs de fruit et d'encens, et ce qu'ils
apportent, quoique façonné de rêves,
est vêtement et nourriture pour votre âme.
Et avant que vous ne quittiez le marché, voyez si personne
n'est parti les mains vides.
Car l'esprit maître de la terre ne reposera pas en paix
sur le vent tant que les besoins du moindre d'entre vous n'auront
pas été satisfaits.
"Le Prophète", Khalil Gibran.
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A propos de l'Amitié.
Votre ami est la réponse à vos besoins.
Il est votre champ que vous ensemencez avec amour et moissonnez
avec reconnaissance
Et il est votre table et votre foyer.
Car vous venez à lui avec votre faim et vous le recherchez
pour la paix.
Lorsque votre ami révèle sa pensée, ne craignez
pas le « non » de votre propre esprit, ni ne refusez
le « oui ».
Et lorsqu'il est silencieux votre cur ne cesse d'écouter
son cur;
Car en amitié, toutes pensées, tous désirs,
toutes attentes naissent sans paroles et se partagent dans une
joîe muette.
Lorsque vous vous séparez de votre ami, vous ne vous affligez
pas;
Car ce que vous aimez le plus en lui peut être clair en
son absence,
de même que pour l'ascensionniste la montagne est plus nette
vue de la plaine.
Et qu'il n'y ait pas de but dans l'amitié sinon l'approfondissement
de l'esprit.
Car l'amour qui cherche autre chose que la révélation
de son propre mystère
n'est pas de l'amour mais un filet jeté : et seul l'inutile
est pris.
Et que le meilleur de vous-même soit pour votre ami.
S'il doit connaître le reflux de votre marée, qu'il
en connaisse aussi le flux.
Car à quoi bon votre ami, si vous le cherchez afin de tuer
le temps?
Cherchez-le toujours pour les heures vivantes.
Car il lui appartient de combler votre besoin, mais non votre
vide.
Et dans la douceur de votre amitié, qu'il y ait le rire,
et le partage des plaisirs.
Car dans la rosée des petites choses, le cur trouve
son matin et sa fraîcheur.
"Le Prophète", Khalil Gibran.
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A propos de l'Amour
Quand l'amour vous fait signe, suivez-le,
Bien que ses voies soient dures et escarpées.
Et lorsque ses ailes vous enveloppent, cédez-lui,
Bien que l'épée cachée dans son pennage puisse
vous blesser.
Et lorsqu'il vous parle, croyez en lui,
Malgré que sa voix puisse briser vos rêves comme
le vent du nord saccage vos jardins.
Car de même que l'amour vous couronne, il doit vous crucifier.
De même qu'il est pour votre croissance il est aussi pour
votre élagage.
De même qu'il s'élève à votre hauteur
et caresse vos branches les plus légères qui tremblent
dans le soleil,
Ainsi pénétrera-t-il jusqu'à vos racines
et les secouera dans leur attachement à la terre.
Comme des gerbes de blé il vous emporte.
Il vous bat pour vous mettre à nu.
Il vous tamise pour vous libérer de votre balle.
Il vous broie jusqu'à la blancheur.
Il vous pétrit jusqu'à ce que vous soyez souples;
Et alors il vous livre à son feu, pour que vous puissiez
devenir le pain sacré du festin de Dieu.
Toutes ces choses, l'amour vous les fera pour que vous puissiez
connaître les secrets de votre cur et devenir,
en cette connaissance, un fragment du cur de la Vie.
Mais si dans votre peur, vous ne recherchez que la paix de l'amour
et le plaisir de l'amour,
Alors il vaut mieux couvrir votre nudité et sortir de l'aire
de l'amour,
Pour vous rendre dans le monde sans saisons où vous rirez,
mais non pas tous vos rires,
et pleurerez, mais non pas toutes vos larmes.
L'amour ne donne que de lui-même et ne prend que de lui-même.
L'amour ne possède pas, et ne veux pas être possédé;
Car l'amour suffit à l'amour.
Quand vous aimez, vous ne devez pas dire "Dieu est dans mon
cur", mais plutôt, "je suis dans le cur
de Dieu".
Et ne pensez pas que vous pouvez guider le cours de l'amour, car
l'amour, s'il vous trouve dignes, dirigera votre cours.
L'amour n'a point d'autre désir que de s'accomplir.
Mais si vous aimez et devez avoir des désirs, qu'ils soient
ceux-ci :
Se fondre et être un ruisseau coulant qui chante sa mélodie
à la nuit.
Connaître la douleur de trop de tendresse.
Être blessé par sa propre intelligence de l'amour;
Et saigner volontiers et joyeusement.
Se réveiller à l'aurore avec un cur ailé
et rendre grâce pour une autre journée d'amour;
Se reposer à l'heure du midi et méditer sur l'extase
de l'amour;
Rentrer en sa demeure au crépuscule avec gratitude,
Et alors dormir avec en son cur une prière pour le
bien-aimé, et sur les lèvres un chant de louange.
"Le Prophète", Khalil Gibran.
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A propos de la Beauté
Où chercherez-vous la beauté et comment la trouverez-vous,
à moins qu'elle ne soit elle-même votre chemin et
votre guide?
Et comment pourrez-vous parler d'elle, si elle ne tisse elle-même
vos paroles ?
Les affligés et les blessés disent, « La beauté
est bonne et douce.
Comme une jeune mère effarouchée de sa propre gloire
elle passe parmi nous. »
Et les passionnés disent, « Non, la beauté
est une chose de puissance et de terreur.
Comme la tempête, elle secoue la terre sous nos pieds et
le ciel au-dessus de nos têtes. »
Les fatigués et les las disent, « La beauté
est faite de doux murmures. Elle parle en notre esprit.
Sa voix cède à nos silences comme une lumière
légère qui frémit dans la peur de l'ombre.
»
Mais les turbulents disent, « Nous avons entendu ses cris
parmi les montagnes,
Et avec ses cris vinrent des bruits de sabots et des battements
d'ailes et des rugissements de lions. »
La nuit les veilleurs de la cité disent, « La beauté
s'élèvera à l'Est avec l'aurore. »
Et à midi les travailleurs et les voyageurs disent,
« Nous l'avons vue se pencher sur la terre des fenêtres
du couchant. »
En hiver les enneigés disent,
« Elle viendra avec le printemps bondissant sur les collines.
»
Et dans la chaleur de l'été les moissonneurs disent,
« Nous l'avons vue danser avec les feuilles d'automne et
nous avons vu une poussière de neige dans ses cheveux.
»
Toutes ces choses vous les avez dites de la beauté,
Mais en vérité vous n'avez pas parlé d'elle
mais de désirs insatisfaits,
Et la beauté n'est pas un désir mais une extase.
Elle n'est pas une bouche assoiffée ni une main vide tendue,
Mais plutôt un cur embrasé et une âme
enchantée.
Elle n'est pas l'image que vous voudriez voir ni le chant que
vous voudriez entendre,
Mais plutôt une image que vous voyez, bien que vous fermiez
les yeux et un chant que vous entendez,
bien que vous bouchiez vos oreilles.
Elle n'est pas la sève sous l'écorce ridée,
ni une aile attachée à une griffe,
Mais plutôt un jardin toujours en fleurs et une nuée
d'anges toujours en vol.
La beauté est la vie lorsque la vie dévoile son
saint visage.
Mais vous êtes vie et vous êtes le voile.
La beauté est l'éternité se contemplant dans
un miroir.
Mais vous êtes éternité et vous êtes
le miroir.
"Le Prophète", Khalil Gibran.
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A propos du Bien et
du Mal.
Du bien qui est en vous je puis parler, mais non du mal.
Car le mal qu'est-ce sinon le bien torturé par sa propre
faim et sa propre soif ?
En vérité, lorsque le bien est affamé, il
cherche sa nourriture même dans des caves obscures,
et lorsqu'il est assoiffé, il s'abreuve même d'eaux
mortes.
Vous êtes bons lorsque vous êtes un avec vousmêmes.
Pourtant lorsque vous n'êtes pas un avec vousmêmes,
vous n'êtes pas mauvais.
Car une maison divisée n'est pas un repaire de voleurs;
elle n'est qu'une maison divisée.
Et un vaisseau sans gouvernail peut errer sans but parmi les récifs
sans pour cela sombrer.
Vous êtes bons lorsque vous essayez de donner de vous-mêmes.
Cependant vous n'êtes pas mauvais lorsque vous recherchez
un gain pour vous-mêmes.
Car lorsque vous recherchez un gain vous n'êtes qu'une racine
qui s'attache à la terre et se nourrit à son sein.
Certes le fruit ne peut dire à la racine : « Sois
comme moi, mûre et pleine et donnant toujours de ton abondance.
»
Car pour le fruit donner est un besoin, comme recevoir est un
besoin pour la racine.
Vous êtes bons lorsque vous êtes pleinement éveillés
dans vos discours.
Pourtant vous n'êtes pas mauvais lorsque vous dormez tandis
que votre langue titube.
Et même un discours trébuchant peut fortifier une
langue faible.
Vous êtes bons lorsque vous marchez fermement vers votre
but et d'un pas intrépide.
Pourtant vous n'êtes pas mauvais lorsque vous y allez en
boitant.
Même ceux qui boitent ne vont pas en arrière.
Mais vous qui êtes forts et rapides, gardez-vous de boiter
devant les estropiés croyant être bienveillants.
Vous êtes bons dans d'innombrables chemins, et vous n'êtes
pas nécessairement mauvais lorsque vous n'êtes pas
bons,
Vous ne faites que flâner et paresser.
Quelle pitié que les cerfs ne puissent apprendre la rapidité
aux tortues.
Dans votre aspiration vers votre moi-géant, gît voire
bonté : et cette aspiration existe en vous tous.
Mais chez quelques-uns c'est un torrent qui dévale avec
fougue vers la mer,
emportant les secrets des collines et les chants de la forêt.
Et chez d'autres c'est un faible ruisseau nonchalant qui se perd
en méandres,
et se courbe et s'attarde avant d'atteindre le rivage.
Mais que celui dont l'aspiration est brûlante ne dise pas
à celui dont le désir est tiède,
« Pourquoi es-tu lent et paresseux ? »
Car les bons ne demandent pas à celui qui est nu,
" Où est ton vêtement? " ni aux sans foyers,
" Qu'est devenue ta maison ? "
"Le Prophète", Khalil Gibran.
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A propos
de la Connaissance de soi-même
Vos curs connaissent en silence les secrets des jours et
des nuits.
Mais vos oreilles espèrent entendre l'écho de la
connaissance de votre cur.
Vous voudriez connaître en paroles ce que vous avez toujours
connu en pensée.
Vous voudriez toucher de vos doigts le corps nu de vos songes.
Et c'est bien que vous le vouliez.
La source secrète de votre âme doit jaillir et courir
en murmurant vers la mer;
Et le trésor de vos profondeurs infinies veut être
révélé à vos yeux.
Mais qu'il n'y ait pas de balance pour peser votre trésor
inconnu ;
Et ne recherchez pas les profondeurs de votre connaissance avec
perche ou sonde.
Car le moi est une mer sans limites et sans mesures.
Ne dites pas, « J'ai trouvé la vérité
», mais plutôt, « J'ai trouvé une vérité
».
Ne dites pas, « J'ai trouvé le sentier de l'âme
»,
dites plutôt, « J'ai trouvé l'âme cheminant
sur mon sentier ».
Car l'âme chemine sur tous les sentiers.
L'âme ne chemine pas sur une ligne, ni ne croît comme
un roseau.
L'âme se déplie comme un lotus aux pétales
innombrables.
"Le Prophète", Khalil Gibran.
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A propos de Crime
et de Châtiment.
C'est lorsque votre esprit erre sur le vent,
Que, par votre seule imprudence, vous causez préjudice
à d'autres et donc à vous-mêmes.
Et pour ce préjudice vous devrez frapper à la porte
des élus et attendre dans le dédain.
Comme l'océan, est votre moi-divin;
Il demeure à jamais immaculé.
Et comme l'éther, il ne soulève que les ailés.
Tout comme le soleil, est votre moi-divin;
Il ne connaît pas les chemins de la taupe ni ne cherche
les trous du serpent.
Mais votre moi-divin n'est pas seul dans votre être.
Beaucoup en vous est encore homme, et beaucoup en vous n'est pas
encore homme,
Mais un pygmée informe qui marche endormi dans le brouillard
à la recherche de son propre éveil.
Et de l'homme en vous je voudrais parler maintenant.
Car c'est lui et non votre moi-divin ni le pygmée dans
le brouillard, qui connaît le crime et le châtiment
du crime.
Souvent je vous ai entendu parler de celui qui commet une mauvaise
action comme s'il n'était pas l'un des vôtres,
mais un étranger parmi vous et un intrus dans votre monde.
Mais je vous le dis, de même que le saint et le juste ne
peuvent s'élever au-dessus de ce qu'il y a de plus élevé
en chacun de vous,
Ainsi le mauvais et le faible ne peuvent tomber au-dessous de
ce qu'il y a également de plus bas en vous.
Et de même qu'une seule feuille ne jaunit qu'avec le silencieux
assentiment de l'arbre entier,
Ainsi le malfaiteur ne peut agir mal sans le secret acquiescement
de vous tous.
Comme une procession vous avancez ensemble vers votre moi-divin.
Vous êtes le chemin et ceux qui cheminent.
Et lorsque l'un d'entre vous tombe, il tombe pour ceux qui sont
derrière lui, les prévenant de la pierre d'achoppement.
Oui, et il tombe pour ceux qui sont devant lui,
qui bien qu'ayant le pied plus rapide et plus sûr, n'ont
pourtant pas écarté la pierre.
Et ceci encore, dût le mot peser lourdement sur vos curs
:
L'assassiné n'est pas irresponsable de son propre assassinat,
Et le volé n'est pas irréprochable d'avoir été
volé.
Et le juste n'est pas innocent des actions du méchant,
Et celui qui a les mains blanches n'est pas indemne des actes
du félon.
Oui, le coupable est souvent la victime de l'offensé,
Et plus souvent encore le condamné supporte le fardeau
pour l'innocent et pour l'irréprochable.
Vous ne pouvez séparer le juste de l'injuste et le bon
du méchant;
Car ils se tiennent tous deux devant la face du soleil, tout comme
les fils noir et blanc sont tissés ensemble.
Et quand le fil noir vient à se rompre, le tisserand vérifie
tout le tissu, et il examine aussi le métier.
Si l'un d'entre vous met en jugement l'épouse infidèle,
Qu'il pèse aussi dans la balance le cur de son mari,
et mesure son âme avec soin.
Et que celui qui veut cingler l'offenseur regarde l'âme
de l'offensé.
Et si l'un d'entre vous punit au nom de la droiture et plante
la hache dans l'arbre du mal,
qu'il en considère aussi les racines;
Et en vérité il trouvera les racines du bon et du
mauvais,
du porteur de fruits et du stérile, entrelacées
dans le cur silencieux de la terre.
Et vous, juges qui voulez être justes,
Quel jugement prononcerez-vous contre celui qui bien qu'honnête
en la chair est voleur en esprit ?
Quelle sanction déciderez-vous contre celui qui tue dans
la chair alors qu'il est lui-même tué dans l'esprit
?
Et comment poursuivrez-vous celui qui dans ses actes est de mauvaise
foi et oppresseur,
Mais est, lui aussi, lésé et outragé ?
Et comment punirez-vous ceux dont le remords est déjà
plus grand que leurs méfaits?
Le remords n'est-il pas la justice rendue par cette même
loi que vous voulez servir?
Cependant vous ne pouvez mettre le remords sur l'innocent ni l'enlever
du cur du coupable.
Spontanément il criera dans la nuit, pour que les hommes
veillent et se considèrent.
Et vous qui voulez comprendre la justice, comment le pourrez-vous,
à moins de regarder toutes choses dans l'éclat de
la lumière ?
Alors seulement vous saurez que le juste et le déchu ne
sont qu'un seul homme debout
dans le crépuscule entre la nuit de son moi-pygmée
et le jour de son moi-divin,
Et que la pierre angulaire du temple n'est pas supérieure
à la pierre la plus basse de ses fondations.
"Le Prophète", Khalil Gibran.
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A propos du Don
Vous ne donnez que peu lorsque vous donnez de vos biens.
C'est lorsque vous donnez de vous-même que vous donnez réellement.
Car, que sont vos biens sinon des choses que vous conservez jalousement
par crainte d'en avoir besoin demain ?
Et demain, qu'apportera demain au chien trop prudent cachant des
os dans le sable mouvant
alors qu'il suit les pèlerins vers la ville sainte ?
Et qu'est la peur de la misère, sinon la misère
elle-même ?
Et la crainte de la soif devant votre puits plein, n'est-elle
pas déjà la soif inextinguible ?
Il en est qui donnent peu de l'abondance qu'ils ont - et ils donnent
pour susciter la reconnaissance,
et leur désir secret corrompt leur don.
Il en est qui ont peu et qui le donnent entièrement.
Ceux-ci croient en la vie et dans la bonté de la vie, et
leur coffre n'est jamais vide.
Il en est qui donnent avec joie, et cette joie est leur récompense.
Il en est qui donnent avec douleur, et leur douleur est leur baptême.
Il en est qui donnent et ne ressentent ni douleur ni joie et ne
sont pas conscients de leur vertu;
Ils donnent comme dans la vallée là-bas le myrte
exhale son parfum dans l'espace.
Par les mains de tels êtres, Dieu parle, et à travers
leur regard Il sourit à la terre.
Il est bien de donner lorsqu'on est sollicité, mais il
est mieux de donner sans être sollicité, par compréhension;
Et pour les généreux, rechercher ceux qui recevront
est une joie plus grande que le don.
Et est-il une chose que vous voudriez refuser ?
Tout ce que vous avez sera donné un jour;
Donnez donc maintenant, afin que la saison de donner soit vôtre
et non celle de vos héritiers.
Vous dites souvent : "Je donnerai, mais seulement à
ceux qui le méritent."
Les arbres de vos vergers ne parlent pas ainsi, ni les troupeaux
dans vos pâturages.
Ils donnent afin de vivre, car retenir c'est périr.
Sûrement celui qui est digne de recevoir ses jours et ses
nuits, est digne de tout recevoir de vous.
Et celui qui a mérité de boire à l'océan
de la vie mérite de remplir sa coupe à votre ruisselet.
Et y a-t-il mérite plus grand que celui qui réside
dans le courage et la confiance, oui, dans la charité de
recevoir ?
Et qui êtes-vous pour que les hommes se déchirent
la poitrine et se dépouillent de leur fierté,
de sorte que vous puissiez voir leur dignité mise à
nu et leur fierté exposée ?
Voyez d'abord à mériter vous-mêmes d'être
donneur et instrument du don.
Car en vérité, c'est la vie qui donne à la
vie - alors que vous, qui vous imaginez être donneurs, n'êtes
en réalité que témoins.
Et vous qui recevez - et vous recevez tous - n'assumez aucune
charge de gratitude,
de crainte d'imposer un joug à vous-mêmes et à
celui qui donne.
Élevez-vous plutôt avec celui qui donne, prenant
ses dons comme si c'étaient des ailes;
Car être trop soucieux de votre dette, c'est douter de sa
générosité qui a la terre magnanime pour
mère et Dieu pour père.
"Le Prophète", Khalil Gibran.
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A propos de la Douleur.
Par la douleur se brise la coquille qui enveloppe votre entendement.
De même que le noyau du fruit doit se rompre pour que son
cur puisse s'offrir au soleil,
ainsi vous devez connaître la douleur.
Et pourriez-vous garder votre cur dans l'émerveillement
du miracle quotidien de votre vie,
votre douleur n'apparaîtrait pas moins merveilleuse que
votre joie;
Et vous accepteriez les saisons de votre cur, de même
que vous avez toujours accepté les saisons qui passent
sur vos champs.
Et vous veilleriez avec sérénité à
travers les hivers de votre tristesse.
Beaucoup de votre douleur est par vous-mêmes choisi.
C'est la potion amère par laquelle le médecin en
vous guérit votre moi malade.
Faites donc confiance au médecin et buvez sa potion en
silence et tranquillité :
Car sa main, quoique lourde et dure, est guidée par la
main bienveillante de l'Invisible,
Et la coupe qu'il offre, bien qu'elle brûle vos lèvres,
a été façonnée de l'argile que le
Potier a mouillée de Ses propres larmes sacrées.
"Le Prophète", Khalil Gibran.
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A propos des Enfants
Vos enfants ne sont pas vos enfants.
Ils sont les fils et les filles de l'appel de la Vie à
elle-même.
Ils viennent à travers vous mais non de vous.
Et bien qu'ils soient avec vous, ils ne vous appartiennent pas.
Vous pouvez leur donner votre amour mais non point vos pensées,
Car ils ont leur propres pensées.
Vous pouvez accueillir leurs corps mais pas leurs âmes,
Car leurs âmes habitent la maison de demain, que vous ne
pouvez visiter, pas même dans vos rêves.
Vous pouvez vous efforcer d'être comme eux, mais ne tentez
pas de les faire comme vous.
Car la vie ne va pas en arrière, ni ne s'attarde avec hier.
Vous êtes les arcs par qui vos enfants, comme des flèches
vivantes, sont projetés.
L'Archer voit le but sur le chemin de l'infini,
et Il vous tend de Sa puissance pour que Ses flèches puissent
voler vite et loin.
Que votre tension par la main de l'Archer soit pour la joie;
Car de même qu'Il aime la flèche qui vole, Il aime
l'arc qui est stable.
"Le Prophète", Khalil Gibran.
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A propos d'Enseignement.
Aucun homme ne peut rien vous révéler sinon ce qui
repose déjà à demi endormi dans l'aube de
votre connaissance.
Le maître qui marche à l'ombre du temple, parmi ses
disciples,
ne donne pas de sa sagesse mais plutôt de sa foi et de son
amour.
S'il est vraiment sage, il ne vous invite pas à entrer
dans la maison de sa sagesse,
mais vous conduit plutôt au seuil de votre propre esprit.
L'astronome peut vous parler de sa compréhension de l'espace,
mais il ne peut pas vous donner sa compréhension.
Le musicien peut chanter pour vous la mélodie qui est en
tout espace,
mais il ne peut vous donner l'oreille qui saisit le rythme, ni
la voix qui lui fait écho.
Et celui qui est versé dans la science des nombres peut
parier du domaine des poids et des mesures, mais ne peut vous
y conduire.
Car la vision d'un homme ne prête pas ses ailes à
un autre homme.
Et de même que chacun de vous se tient seul dans la connaissance
de Dieu,
de même chacun de vous doit être seul dans sa connaissance
de Dieu et dans sa compréhension de la terre.
"Le Prophète", Khalil Gibran.
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A propos de la
Joie et de la Tristesse
Votre joie est votre tristesse sans masque.
Et le même puits d'où fuse votre rire fut souvent
rempli de vos larmes.
Et comment en serait-il autrement ?
Plus profondément le chagrin creusera votre être,
plus vous pourrez contenir de joie.
La coupe qui contient votre vin n'est-elle pas la même coupe
qui fut cuite dans le four du potier ?
Et le luth qui caresse votre âme, n'est-il pas le même
bois qui fut évidé au couteau ?
Lorsque vous êtes joyeux, regardez profondément en
votre cur et vous trouverez que ce qui vous apporte
de la joie n'est autre que ce qui vous a donné de la tristesse.
Lorsque vous êtes tristes, regardez à nouveau en
votre cur, et vous verrez qu'en vérité vous
pleurez pour ce qui fut votre délice.
Il en est parmi vous qui disent : "La joie est plus grande
que la tristesse", et d'autres disent : "Non, la tristesse
est plus grande."
Mais moi je vous dis qu'elles sont inséparables.
Ensemble elles viennent, et quand l'une vient s'asseoir seule
avec vous à votre table, rappelez-vous que l'autre dort
sur votre lit.
En vérité vous êtes suspendus comme une balance
entre votre tristesse et votre joie.
Ce n'est que lorsque vos plateaux sont vides que vous êtes
immobiles et en équilibre.
Lorsque le gardien du trésor vous soulèvera pour
peser son or et son argent,
il faudra que votre joie et votre tristesse s'élève
ou s'abaisse.
"Le Prophète", Khalil Gibran.
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A propos de la Liberté.
Aux portes de la cité, et dans vos foyers, je vous ai vus
vous prosterner et adorer votre propre liberté,
Comme des esclaves qui s'humilient devant un tyran et qui le glorifient
alors qu'il les détruit.
Oui, dans le bocage du temple et dans l'ombre de la citadelle,
J'ai vu les plus libres d'entre vous porter leur liberté
comme un joug et des menottes.
Et mon cur saigna en moi ; car vous ne saurez être
libres que lorsque même le désir de parvenir à
la liberté
deviendra pour vous un harnais et lorsque vous cesserez de parler
de la liberté comme d'un but et d'un achèvement.
Vous serez libres en vérité non pas lorsque vos
jours seront sans un souci et vos nuits sans un désir et
sans une peine,
Mais plutôt lorsque ces choses enserreront votre vie et
que vous vous élèverez au-dessus d'elles nus et
sans entraves.
Et comment vous élèverez-vous au-dessus de vos jours
et de vos nuits,
si vous ne brisez les chaînes dont à l'aube de votre
entendement vous avez chargé votre heure du midi ?
En vérité ce que vous appelez liberté est
la plus forte de ces chaînes,
bien que ses anneaux brillent au soleil et vous éblouissent.
Et qu'est-ce sinon des fragments de vous-mêmes que vous
voulez écarter pour devenir libres?
Si c'est une injuste loi que vous voulez abolir, cette loi fut
écrite de votre propre main sur votre propre front.
Vous ne pourrez pas l'effacer en brûlant vos livres de lois
ni en lavant les fronts de vos juges,
même si vous déversiez sur eux la mer entière.
Et si c'est un despote que vous voulez détrôner,
voyez d'abord si son trône en vous est bien détruit.
Car comment un tyran peut-il dominer les libres et les fiers,
s'il n'existe une tyrannie dans leur propre liberté et
une honte en leur propre fierté?
Et si c'est une inquiétude que vous voulez chasser, cette
inquiétude a été choisie par vous bien plus
qu'elle ne vous a été imposée.
Et si c'est une peur que vous voulez dissiper, le siège
de cette peur est en votre cur et non dans la main que vous
redoutez.
En vérité, toutes choses se meuvent en votre être
intime dans une constante semi-étreinte,
celles que vous désirez et celles que vous redoutez, celles
qui vous répugnent et celles que vous chérissez,
celles que vous poursuivez et celles que vous voulez fuir.
Ces choses se meuvent en vous comme des lumières et des
ombres par couples étroitement unis.
Et quand l'ombre s'affaiblit et disparaît, la lumière
qui s'attarde devient l'ombre d'une autre lumière.
Et ainsi votre liberté, lorsqu'elle perd ses entraves,
devient elle-même l'entrave d'une plus grande liberté.
"Le Prophète", Khalil Gibran.
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A propos des Lois
Vous vous complaisez à établir des lois,
Mais vous vous complaisez davantage à les violer.
Tels des enfants qui jouent au bord de l'océan et qui construisent
avec persévérance des tours de sable qu'ils détruisent
en riant.
Mais durant que vous construisez vos tours de sable l'océan
apporte davantage de sable au rivage.
Et lorsque vous les détruisez, l'océan rit avec
vous.
En vérité, l'océan rit toujours avec le simple.
Mais qu'en est-il de ceux pour qui la vie n'est pas un océan,
et pour qui les lois de l'homme ne sont pas tours de sable,
Mais pour qui la vie est un roc, et la loi un ciseau
avec lequel ils veulent la sculpter à leur propre fessemblance
?
Qu'en est-il de l'estropié qui hait les danseurs ?
Qu'en est-il du buf qui aime son joug et estime que le daim
et l'élan de la forêt sont choses égarées
et vagabondes ?
Qu'en est-il du vieux serpent qui ne peut rejeter sa peau, et
qui qualifie tous les autres de nus et de sans pudeur?
Et de celui qui arrive tôt à la noce, et qui s'en
va repu et fatigué,
disant que tout festin est une faute et que tout convive enfreint
la loi?
Que dirai-je de ceux-là sinon qu'ils se tiennent, eux aussi,
dans la lumière, mais le dos au soleil?
Ils ne voient que leurs ombres, et leurs ombres sont leurs lois.
Et qu'est le soleil pour eux sinon un créateur d'ombres
?
Et qu'est-ce que reconnaître les lois sinon s'incliner et
tracer leurs ombres sur la terre ?
Mais vous qui marchez face au soleil, quelles images reflétées
sur la terre peuvent vous retenir ?
Vous qui voyagez avec le vent, quelle girouette orientera votre
course ?
Quelle loi d'homme vous entravera si vous ne brisez votre joug
sur aucune porte de prison ?
Quelles lois craindrez-vous si vous dansez sans trébucher
dans aucune chaîne de fer?
Et qui pourra vous déférer en jugement si vous arrachez
vos vêtements sans les abandonner dans le sentier d'autrui
?
Vous pouvez voiler le tambour et vous pouvez délier les
cordes de la lyre,
mais qui pourra interdire à l'alouette de chanter?
"Le Prophète", Khalil Gibran.
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A propos de Maisons.
Bâtissez de vos rêves une retraite dans le désert
avant de bâtir une maison dans l'enceinte de la ville.
Car de même que vous avez des retours au foyer en votre
crépuscule,
ainsi le voyageur en vous, celui qui est toujours loin et seul.
Votre maison est votre plus grand corps.
Elle grandit dans le soleil et dort dans le silence de la nuit;
et elle n'est pas sans rêves.
Votre maison ne rêve-t-elle pas ? et en rêve, ne quittet-elle
pas la ville pour le bosquet ou la colline ?
Ô si je pouvais cueillir vos maisons dans ma main et comme
un semeur les éparpiller dans les forêts et les prés.
Fasse que les vallées soient vos rues et les verts sentiers
vos ruelles,
que vous puissiez vous chercher l'un l'autre à travers
les vignes et ramener les senteurs de la terre dans vos vêtements.
Mais il n'est pas encore le temps de ces choses.
Dans leur peur, vos aïeux vous ont rassemblés trop
près l'un de l'autre.
Et cette peur durera encore un peu de temps.
Encore un peu de temps les murs de vos cités sépareront
vos foyers de vos champs.
Et dites-moi, qu'avez-vous dans ces maisons ?
Et que gardez-vous derrière ces portes fermées ?
Avez-vous la paix, la tranquille impulsion qui révèle
votre puissance ?
Avez-vous des souvenirs, ces voûtes brillantes qui surplombent
les sommets de l'esprit ?
Avez-vous la beauté, qui détourne le cur des
objets faits de bois et de pierre pour l'orienter vers la montagne
sainte ?
Dites-moi, avez-vous cela dans vos maisons?
Ou n'avez-vous que le bien-être, et la convoitise du bien-être,
ce désir furtif qui entre en invité dans la maison,
puis y devient un hôte, et puis un maître ?
Oui, et il devient dompteur, et avec fourche et fouet il fait
des pantins de vos plus généreux désirs.
Bien que ses mains soient de soie, son cur est de fer.
Il vous berce jusqu'au sommeil uniquement pour
hanter votre chevet et se gausser de la dignité de la chair.
Il se moque de vos sens qui sont bons et les couche dans de l'ouate
comme des vases fragiles.
En vérité, la convoitise du bien-être tue
la passion de l'âme, et suit en ricanant ses funérailles.
Mais vous, enfants de l'espace, vous les inquiets dans le repos,
vous ne serez ni capturés ni apprivoisés.
Votre maison ne sera pas une ancre mais un mât.
Elle ne sera pas un voile étincelant qui couvre une plaie,
mais une paupière qui protège l'il.
Vous ne replierez pas vos ailes afin de pouvoir franchir les portes,
ni ne courberez vos têtes pour qu'elles ne heurtent pas
les plafonds,
ni ne craindrez de respirer de peur que les murs ne se fendent
et s'écroulent.
Vous n'habiterez pas des tombes construites par les morts pour
les vivants.
Même faite avec magnificence et splendeur, votre maison
ne saurait contenir votre secret ni abriter votre désir.
Car ce qui est infini en vous habite le château du ciel,
dont la porte est la brume du matin,
et dont les fenêtres sont les chants et les silences de
la nuit.
"Le Prophète", Khalil Gibran.
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A propos du Manger
et du Boire
Puissiez-vous vivre du parfum de la terre, et comme une plante
vous sustenter de lumière.
Mais puisque vous devez tuer pour manger, et ravir au nouveau-né
le lait de sa mère pour étancher votre soif,
faites-en donc un acte de dévotion,
Et que votre table soit un autel sur lequel les purs et les innocents
de la forêt et de la plaine
sont sacrifiés pour ce qui est plus pur et plus innocent
en l'homme.
Lorsque vous tuez une bête, dites-lui en votre cur
:
"Par la même puissance qui t'immole, moi aussi je suis
immolé; et moi aussi je serai dévoré.
Car la loi qui t'a livrée entre mes mains me livrera entre
des mains plus puissantes.
Ton sang et mon sang ne sont que la sève qui nourrit l'arbre
du ciel."
Et lorsque vous mordez une pomme à pleines dents, dites-lui
en votre cur :
"Tes semences vivront dans mon corps,
Et les bourgeons de tes lendemains fleuriront dans mon cur,
Et ton parfum sera mon haleine,
Et ensemble nous nous réjouirons en toutes saisons."
Et à l'automne, lorsque vous cueillez le raisin de vos
vignes pour le pressoir, dites en votre cur :
"Moi aussi je suis une vigne et mon fruit sera cueilli pour
le pressoir,
Et comme du vin nouveau je serai placé dans des vases éternels."
Et en hiver, lorsque vous tirez le vin, qu'il y ait en votre cur
un chant pour chaque coupe;
Et qu'il y ait dans le chant une pensée pour les jours
d'automne, et pour la vigne, et pour le pressoir.
"Le Prophète", Khalil Gibran.
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A propos du Mariage
Vous êtes nés ensemble et ensemble vous resterez
pour toujours.
Vous resterez ensemble quand les blanches ailes de la mort disperseront
vos jours.
Oui, vous serez ensemble jusque dans la silencieuse mémoire
de Dieu.
Mais qu'il y ait des espaces dans votre communion,
Et que les vents du ciel dansent entre vous.
Aimez-vous l'un l'autre, mais ne faites pas de l'amour une entrave
:
Qu'il soit plutôt une mer mouvante entre les rivages de
vos âmes.
Emplissez chacun la coupe de l'autre mais ne buvez pas à
une seule coupe.
Partagez votre pain mais ne mangez pas de la même miche.
Chantez et dansez ensemble et soyez joyeux, mais demeurez chacun
seul,
De même que les cordes d'un luth sont seules cependant qu'elles
vibrent de la même harmonie.
Donnez vos curs, mais non pas à la garde l'un de
l'autre.
Car seule la main de la Vie peut contenir vos curs.
Et tenez-vous ensemble, mais pas trop proches non plus :
Car les piliers du temple s'érigent à distance,
Et le chêne et le cyprès ne croissent pas dans l'ombre
l'un de l'autre.
"Le Prophète", Khalil Gibran.
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A propos de la Mort
Vous voudriez connaître le secret de la mort.
Mais comment le trouverez-vous sinon en le cherchant dans le coeur
de la vie?
La chouette dont les yeux faits pour la nuit sont aveugles au
jour ne peut dévoiler le mystère de la lumière.
Si vous voulez vraiment contempler l'esprit de la mort, ouvrez
amplement votre coeur au corps de la vie.
Car la vie et la mort sont un, de même que le fleuve et
l'océan sont un.
Dans la profondeur de vos espoirs et de vos désirs repose
votre silencieuse connaissance de l'au-delà;
Et tels des grains rêvant sous la neige, votre coeur rêve
au printemps.
Fiez-vous aux rêves, car en eux est cachée la porte
de l'éternité.
Votre peur de la mort n'est que le frisson du berger lorsqu'il
se tient devant le roi dont la main va se poser sur lui pour l'honorer.
Le berger ne se réjouit-il pas sous son tremblement, de
ce qu'i portera l'insigne du roi ?
Pourtant n'est-il pas plus conscient de son tremblement ?
Car qu'est-ce que mourir sinon se tenir nu dans le vent et se
fondre dans le soleil ?
Et qu'est-ce que cesser de respirer, sinon libérer le souffle
de ses marées inquiètes,
pour qu'il puisse s'élever et se dilater et rechercher
Dieu sans entrave ?
C'est seulement lorsque vous boirez à la rivière
du silence que vous chanterez vraiment.
Et quand vous aurez atteint le sommet de la montagne, vous commencerez
enfin à monter.
Et lorsque la terre réclamera vos membres, alors vous danserez
vraiment.
"Le Prophète", Khalil Gibran.
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A propos de la Parole.
Vous parlez lorsque vous cessez d'être en paix avec vos
pensées ;
Et lorsque vous ne pouvez rester davantage dans la solitude de
votre cur vous vivez dans vos lèvres,
et le son est un divertissement et un passe-temps.
Et dans une large part de vos discours, la pensée est à
moitié assassinée.
Car la pensée est un oiseau de l'espace, qui dans une cage
de mots peut ouvrir ses ailes mais ne peut voler.
Il en est parmi vous qui recherchent les bavards de peur d'être
seuls.
Le silence de la solitude révèle à leurs
yeux leur moi dans sa nudité et ils voudraient s'enfuir.
Et il en est qui parlent, et sans savoir ou préméditation
révèlent une vérité qu'ils ne comprennent
pas eux-mêmes.
Et il en est qui ont la vérité en eux mais ne l'expriment
pas en paroles.
Dans le sein de ceux-ci l'esprit demeure dans le rythme du silence.
Quand vous rencontrez votre ami sur le bord de la route ou sur
la place du marché,
que l'esprit en vous anime vos lèvres et dirige votre langue.
Que la voix en votre voix parle à l'oreille de son oreille
;
Car son âme gardera la vérité de votre cur
tel le bouquet du vin qui persiste.
Quand la couleur en est oubliée et que la coupe n'est plus.
"Le Prophète", Khalil Gibran.
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A propos du Plaisir.
Le plaisir est un chant de liberté,
Mais il n'est pas la liberté. Il est l'éclosion
de vos désirs,
Mais il n'est pas leur fruit.
Il est une profondeur appelant un sommet,
Mais il n'est ni l'abîme ni le faîte.
Il est le prisonnier prenant son essor,
Mais il n'est pas l'espace qui l'enveloppe.
Oui, en vérité, le plaisir est un chant de liberté.
Et volontiers je vous verrais le chanter à plein cur;
mais ne voudrais point vous voir perdre vos curs dans ce
chant.
Parmi vos jeunes, certains recherchent le plaisir comme s'il était
tout, et ils sont jugés et châtiés.
Je ne voudrais ni les juger ni les châtier. Je voudrais
les voir chercher.
Car ils trouveront le plaisir, mais point seul ;
Sept sont ses surs, et la moindre d'entre elles est plus
belle que le plaisir.
N'avez-vous pas entendu parler de l'homme qui creusait la terre
à la recherche de racines et qui découvrit un trésor
?
Et quelques-uns de vos aînés se souviennent de plaisirs
avec regret comme d'erreurs commises en état d'ivresse.
Mais le regret est l'ombre de l'esprit et non pas son châtiment.
Ils devraient se souvenir de leurs plaisirs avec gratitude, comme
ils le feraient pour la récolte d'un été.
Pourtant si le regret les réconforte, laissez-le les réconforter.
Et il en est parmi vous qui ne sont ni jeunes pour chercher ni
vieux pour se souvenir;
Et dans leur peur de la recherche et de la souvenance ils fuient
tout plaisir, de crainte de négliger l'esprit ou de lui
faire offense.
Mais en leur renoncement même est leur plaisir.
Et ainsi eux également trouvent un trésor alors
qu'ils recherchent des racines de leurs mains frémissantes.
Mais dites-moi, quel est celui qui peut offenser l'esprit ?
Le rossignol offense-t-il la tranquillité de la nuit, ou
la luciole les étoiles ?
Et votre flamme ou votre fumée pèseront-elles sur
le vent ?
Croyez-vous que l'esprit est un calme étang que vous pouvez
troubler avec un bâton ?
Souvent en vous refusant le plaisir vous ne faites qu'accumuler
le désir dans les replis de votre être.
Oui sait seulement que ce qui semble omis aujourd'hui attend pour
demain ?
Même votre corps connaît son héritage et son
juste besoin, et veut n'être pas déçu.
Et votre corps est la harpe de votre âme,
Et il vous appartient d'en tirer musique douce ou sons confus.Et
maintenant vous demandez en votre amour,
« Comment distingue rons-nous ce qui est bon dans le plaisir
et ce qui ne l'est pas ? »
Allez à vos champs et à vos jardins et vous apprendrez
que c'est le plaisir de l'abeille de butiner le miel de la fleur.
Mais c'est aussi le plaisir de la fleur de céder son miel
à l'abeille.
Car pour l'abeille une fleur est une source de vie,
Et pour la fleur une abeille est une messagère d'amour,
Et pour les deux, abeille et fleur, donner et recevoir le plaisir
sont un besoin et une extase.
Soyez dans vos plaisirs comme les fleurs et les abeilles.
"Le Prophète", Khalil Gibran.
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A propos de la Prière.
Vous priez en votre détresse et en votre besoin puissiez-vous
prier aussi dans la plénitude de votre joie et en vos jours
d'abondance.
Car la prière qu'est-elle sinon l'expression de votre être
dans l'éther vivant ?
Et si c'est pour votre soulagement que vous versez votre obscurité
dans l'espace,
c'est aussi pour votre délice que vous exhalez l'aube de
votre cur.
Et si vous ne pouvez que pleurer lorsque votre âme vous
appelle à la prière,
elle devrait vous éperonner encore et encore, malgré
les pleurs, jusqu'à ce que vous arriviez à rire.
Lorsque vous priez, vous vous élevez pour rencontrer dans
l'air ceux qui prient à cette même heure,
et que, sauf en prière, vous ne pourriez rencontrer.
Aussi que votre visite dans ce temple invisible ne soit que pour
l'extase et la douce communion.
Car si vous ne pénétrez dans le temple que pour
solliciter vous ne recevrez pas :
Et si vous y pénétrez pour vous humilier vous ne
serez pas élevé :
Ou même si vous y pénétrez pour implorer le
bonheur pour les autres vous ne serez pas entendus.
C'est assez que vous pénétriez dans le temple invisible.Je
ne puis vous apprendre à prier avec des mots.
Dieu n'écoute pas vos paroles sauf lorsque Luimême
les prononce à travers vos lèvres.
Et je ne puis vous apprendre les prières des mers et des
forêts et des montagnes.
Mais vous qui êtes nés des montagnes et des forêts
et des mers pouvez trouver leur prière dans votre cur,
Et si seulement vous écoutez dans le calme de la nuit vous
les entendrez dire en silence :
« Notre Dieu, qui est notre moi ailé, c'est ta volonté
en nous qui veut.
C'est ton désir en nous qui désire.
C'est ton élan en nous qui voudrait changer nos nuits,
qui sont tiennes, en jours qui sont tiens aussi.
Nous ne pouvons te demander quoi que ce soit car tu connais nos
besoins avant qu'ils ne soient nés en nous :
Tu es notre besoin; et en nous donnant plus de toi-même,
tu nous donnes tout. »
"Le Prophète", Khalil Gibran.
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A propos de la
Raison et de la Passion.
Votre âme est souvent un champ de bataille, où votre
raison et votre jugement combattent votre passion et votre appétit.
Puissé-je être le pacificateur en votre âme,
et transformer la discorde et la rivalité de vos éléments
en unité et mélodie.
Mais comment le pourrais-je, à moins que vous-mêmes
ne soyez aussi les pacificateurs,
bien plus, les amis de tous vos éléments?
Votre raison et votre passion sont le gouvernail et les voiles
de votre âme navigante.
Si vos voiles ou votre gouvernail se brisent, vous ne pouvez qu'être
ballottés et aller à la dérive,
ou rester ancrés au milieu de la mer.
Car la raison, régnant seule, restreint tout élan;
et la passion, abandonnée à elle-même,
est une flamme qui brûle jusqu'à sa propre destruction.
Ainsi, que votre âme élève votre raison à
la hauteur de la passion, pour qu'elle puisse chanter;
Et que la raison dirige votre passion pour que votre passion puisse
vivre
dans une quotidienne résurrection et tel le phénix
renaître de ses propres cendres.
Je voudrais que vous considériez votre jugement et votre
appétit comme vous le feriez
de deux hôtes aimés dans votre maison.
Certes, vous ne voudriez pas honorer un hôte davantage que
l'autre ;
car celui qui porte plus d'attention à l'un perd l'amour
et la confiance de tous les deux.
Lorsque, parmi les collines, vous êtes assis à l'ombre
fraîche des peupliers blancs,
partageant la paix et la sérénité des champs
et des prairies qui s'étendent au loin -
alors que votre cur dise en silence : « Dieu repose
en sa raison. »
Et lorsque éclate l'orage et qu'un vent fort secoue la
forêt, et que le tonnerre et l'éclair proclament
la majesté du ciel,
alors, que votre cur dise avec révérence :
« Dieu agit dans sa passion. »
Et puisque vous êtes un souffle dans la sphère de
Dieu et une feuille dans la forêt de Dieu,
vous aussi devez reposer dans la raison et vous mouvoir dans la
passion.
"Le Prophète", Khalil Gibran.
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A propos de la Religion.
Ai-je parlé aujourd'hui de quelque autre chose ?
La religion n'est-ce pas tout acte et toute réflexion.
Et ce qui n'est ni acte ni réflexion, mais un étonnement
et une surprise toujours naissant dans l'âme,
même lorsque les mains taillent la pierre ou tendent le
métier?
Qui peut séparer sa foi de ses actions, ou sa croyance
de ses occupations ?
Qui peut étendre ses heures devant lui, disant, «
Ceci pour Dieu et ceci pour moi-même;
ceci pour mon ame et ceci pour mon corps » ?
Toutes vos heures sont des ailes qui battent à travers
l'espace d'un moi à un moi.
Celui qui ne porte sa moralité que comme son meilleur vêtement,
il vaudrait mieux qu'il fût nu.
Le vent et le soleil ne feront pas de trous dans sa peau.
Et celui qui règle sa conduite selon l'éthique emprisonne
son oiseau-chanteur dans une cage.
Le chant le plus libre ne passe pas à travers des barreaux
et des fils de fer.
Et celui pour qui l'adoration est une fenêtre, à
ouvrir mais aussi à fermer,
n'a pas encore visité la demeure de son âme dont
les fenêtres sort ouvertes d'une aurore à l'autre.
Votre vie quotidienne est votre temple et votre religion.
Lorsque vous y pénétrez prenez tout votre être
avec vous.
Prenez la charrue et la forge et le maillet et le luth
Les choses que vous avez modelées dans le besoin ou pour
votre délice.
Car en rêve vous ne pouvez vous élever audessus de
vos achèvements ni tomber plus bas que vos échecs.
Et prenez avec vous tous les hommes
Car en adoration vous ne pouvez voler plus haut que leurs espérances
ni vous abaisser plus bas que leur désespoir.
Et si vous voulez connaître Dieu ne soyez pas préoccupés
de résoudre des énigmes.
Regardez plutôt autour de vous et vous Le verrez jouant
avec vos enfants.
Et regardez dans l'espace ; vous Le verrez marchant dans les nuages,
étendant Ses bras dans l'éclair et descendant en
pluie.
Vous Le verrez souriant dans les fleurs, puis se levant et mouvant
Ses mains dans les arbres.
"Le Prophète", Khalil Gibran.
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A propos du Temps.
Vous voudriez mesurer le temps, l'infini et l'incommensurable.
Vous voudriez adapter votre conduite et même diriger le
cours de votre esprit selon des heures et des saisons.
Du temps vous feriez une rivière au bord de laquelle vous
vous assoiriez pour observer son cours.
Cependant l'intemporel en vous est conscient de l'intemporalité
de la vie,
Et sait qu'aujourd'hui n'est que le souvenir d'hier et demain,
le rêve d'aujourd'hui.
Et que ce qui chante et contemple en vous est encore fixé
dans les limites de ce premier instant qui sema les étoiles
dans l'espace.
Qui parmi vous ne sent que son pouvoir d'aimer est illimité
?
Et cependant qui ne sent ce même amour, quoique illimité,
enfermé au centre de son être,
et ne procédant pas d'une pensée d'amour à
une pensée d'amour, ni d'un geste d'amour à un autre
geste d'amour ?
Et le temps n'est-il pas comme est l'amour, indivisible et immobile
?
Mais si dans votre pensée vous devez mesurer le temps en
saisons, que chaque saison enveloppe toutes les autres,
Et qu'aujourd'hui embrasse le passé avec souvenir et le
futur avec aspiration.
"Le Prophète", Khalil Gibran.
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A propos du Travail
Vous travaillez pour pouvoir aller au rythme de la terre et de
l'âme de la terre.
Car être oisif c'est devenir étranger aux saisons,
et s'écarter de la procession de la vie,
qui avance majestueusement et en fière soumission vers
l'infini.
Lorsque vous travaillez, vous êtes une flûte à
travers laquelle le murmure des heures se transforme en musique.
Lequel d'entre vous voudrait être un roseau, muet et silencieux,,
alors que tout chante à l'unisson ?
Toujours on vous a dit que le travail est une malédiction
et le labeur une infortune.
Mais je vous dis que lorsque vous travaillez vous accomplissez
une part du rêve le plus lointain de la terre,
qui vous fut assignée lorsque ce rêve naquit.
Et en vous gardant unis au travail, en vérité vous
aimez la vie,
Et aimer la vie à travers le travail, c'est être
initié au plus intime secret de la vie.
Mais si dans votre douleur vous appelez la naissance une affliction
et le poids de la chair une malédiction inscrite sur votre
front,
alors je réponds que seule la sueur de votre front lavera
ce qui est inscrit.
On vous dit aussi que la vie est obscurité, et dans votre
fatigue vous répétez ce que disent les las.
Et je vous dis que la vie est réellement obscurité
sauf là où il y a élan,
Et tout élan est aveugle sauf là où il y
a savoir,
Et tout savoir est vain sauf là où il y a travail,
Et tout travail est vide sauf là où il y a amour;
Et lorsque vous travaillez avec amour vous vous liez à
vous-même, et l'un à l'autre, et à Dieu.
Et qu'est-ce que travailler avec amour ?
C'est tisser l'étoffe avec des fils tirés de votre
cur, comme si votre bien-aimé devait porter cette
étoffe.
C'est bâtir une maison avec affection, comme si votre bien-aimé
devait demeurer en cette maison.
C'est semer des grains avec tendresse et récolter la moisson
avec joie, comme si votre bien-aimé devait en manger le
fruit.
C'est mettre en toutes choses que vous façonnez un souffle
de votre propre esprit,
Et savoir que tous les morts bienheureux se tiennent auprès
de vous et veillent.
Souvent je vous ai entendu dire, comme si vous parliez dans votre
sommeil,
"Celui qui travaille le marbre, et qui trouve la forme de
son âme dans la pierre, est plus noble que celui qui laboure
le sol.
Et celui qui saisit l'arc-en-ciel et l'étend sur la ressemblance
de l'homme, est plus que celui qui fait des sandales pour le pied."
Mais moi je dis, non pas en sommeil, mais dans le plein éveil
du milieu du jour,
que le vent ne parle pas plus doucement au chêne géant
qu'au plus infime de tous les brins d'herbe;
Et celui-là seul est grand qui transforme la voix du vent
en un chant rendu plus doux par son propre amour.
Le travail est l'amour rendu visible.
Et si vous ne pouvez travailler avec amour mais seulement avec
dégoût,
il vaut mieux abandonner votre travail et vous asseoir à
la porte du temple et recevoir l'aumône de ceux qui uvrent
dans la joie.
Car si vous faites le pain avec indifférence, vous faites
un pain amer qui n'apaise qu'à moitié la faim de
l'homme.
Et si vous pressez le raisin de mauvaise grâce, votre regret
distille un poison dans le vin.
Et si même vous chantez comme les anges et n'aimez pas le
chant,
vous fermez les oreilles de l'homme aux voix du jour et aux voix
de la nuit.
"Le Prophète", Khalil Gibran.
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A propos de Vêtements.
Vos vêtements dissimulent une grande part de votre beauté,
mais ils ne cachent pas ce qui n'est pas beau.
Et bien que vous cherchiez en vos vêtements l'abri de votre
intimité, vous risquez d'y trouver un harnais et une chaîne.
Puissiez-vous rencontrer le soleil et le vent avec davantage de
votre épiderme et moins de vos vêtements.
Car le souffle de la vie est dans le soleil et la main de la vie
est dans le vent.Certains d'entre vous disent :
« C'est le vent du nord qui a tissé les habits que
nous portons. »
Et moi je dis, Oui, c'est le vent du nord,
Mais la honte fut son métier et l'amollissement des nerfs
fut son fil.
Et lorsque son travail fut accompli, il rit dans la forêt.
N'oubliez pas que la pudeur n'est qu'un bouclier contre l'il
de l'impur.
Et quand l'impur disparaît, que devient la pudeur sinon
une entrave et une souillure de l'esprit ?
Et n'oubliez pas que la terre se réjouit de sentir vos
pieds nus et que les vents joueraient volontiers avec vos cheveux.
"Le Prophète", Khalil Gibran.
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( Dernière mise à jour :
21-Mar-2006 15:05
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